Publié le 20 juin 2024 par l'équipe de ViaEuropa.info
En tant que Chef de l'État, Emmanuel Macron est le président de tous les Français et non le porte-parole des mouvements politiques qui ont soutenu sa candidature. Son rôle d'arbitre, consacré par l'article 5 de la Constitution, lui impose une certaine neutralité. Conformément à la vision de De Gaulle, il doit se tenir au-dessus des contingences politiques.
C’est sans doute la raison pour laquelle, les déclarations du président ont longtemps échappé au décompte du temps d'antenne attribué à l'Exécutif dans les médias audiovisuels. Pourtant, il est indéniable que le président de la République est également membre d'un parti politique. Dans ce contexte, il lui est difficile de rester « au-dessus des partis » et de ne pas s’impliquer dans la campagne, en particulier lorsqu'il est le Chef de la majorité présidentielle.
La dernière intervention publique du président de la République le confirme : le mercredi 12 juin, Emmanuel Macron a tenu une conférence de presse à Paris pour expliquer sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale. À cette occasion, il a profité de l'opportunité pour critiquer les alliances des partis adversaires et attaquer nommément certains adversaires politiques. Ceci démontre clairement sa volonté de ne rester ni neutre ni muet pendant la campagne législative.
Certes, il est difficile de critiquer le fait du président défende ses idées, son parti, son programme politique et, par extension, en vienne à contester les idées des autres candidats. En revanche, le principe constitutionnel du « pluralisme des courants d'idées et d'opinions » qui est un « fondement de la démocratie » (déc. no 2012-233 QPC du 22 févr. 2012, cons. 4) impose de prendre en compte ces moments d’expression politique partisane du président de la République comme des moments de campagne électorale et non comme des moments d’expression du président de la République représentant l’ensemble des français. Il est ainsi crucial de distinguer les moments où il s’exprime en tant que président et ceux où il parle en tant que membre d’un parti politique. Cette distinction est essentielle, car le président en exercice bénéficie d'un avantage médiatique considérable, offrant une visibilité bien supérieure à celle des autres candidats qui pourrait nuire à une expression équitable des courants d'idées et d'opinions.
Pendant longtemps, avait été rejetée l’idée de déconnecter les moments de prise de parole qui reflètent un courant d’opinion et les moments de prise de parole au nom de la Nation. Comme le souligne la jurisprudence Hoffer : « en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'État dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics », il est admis que « le président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique »[1].
Mais les choses ont progressivement évolué, notamment après l'élection de Nicolas Sarkozy, dont la présence médiatique était particulièrement marquée. A l’époque, le rapporteur public avait observé que le temps de parole du président avait été multiplié par trois durant les quatre trimestres de juillet 2007 à juin 2008.
C’est la raison pour laquelle l’absence de décompte du temps de parole du président avait été l’objet de critiques.
Ceci a également amené le Conseil d’Etat à inviter le CSA à distinguer et décompter comme il se doit ces différentes prises de parole, en fonction du contexte[2].
Dès lors, en période de campagne électorale, les discours du président de la République impliquant des débats politiques liés aux élections, en particulier ceux exprimant un soutien à un candidat ou une liste de candidats, doivent être considérés comme faisant partie du temps de parole lié au scrutin. En conséquence, les autres listes doivent avoir un « accès équitable » aux médias en contrepartie.
Ainsi, bien que le président puisse s'impliquer dans les campagnes électorales, il doit maintenir un équilibre entre ses rôles de chef d'État et de membre d'un parti politique, afin de respecter le principe du pluralisme.
C’est la raison pour laquelle, tout porte à croire que le temps de parole du président lors de cette conférence de presse décompté par l'Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, comme étant du temps de parole attribué au parti Renaissance, plutôt que comme du temps de parole présidentiel.
Les mêmes règles s'appliquent aux réseaux sociaux : le président ne peut pas utiliser les comptes officiels de l'Elysée pour diffuser des messages de campagne et doit plutôt recourir à ses comptes personnels.
De même, dans le domaine des dépenses, le chef de l'État ne peut pas utiliser les moyens liés à sa fonction pour faire campagne. Toutes les dépenses engagées par Emmanuel Macron dans cette campagne devront être déclarées dans les comptes de campagne des candidats de Renaissance. Ces dépenses seront examinées a posteriori par la Commission des comptes de campagne (CNCCFP), qui décidera de les valider ou non.
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[1] Conseil d’Etat, 13 mai 2005, Hoffer, no 279259
[2] Voir notamment, Conseil d’Etat, ass., 8 avr. 2009, Hollande et Mathus, no 311136.